Navigation entre maths, Histoire, féminisme et romanesque

Grâce à la sortie de mon roman Combien de pas jusqu’à la Lune, cette rentrée littéraire ne ressemble à aucune autre : lectures théâtrales, tables rondes, conférences dans des lycées ou des salons du livre, débats dans des classes et rencontres intimistes en librairie sont autant d’occasions de questionner de multiples thèmes et de tirer les fils  évoqués dans le livre.

Et j’ai aussi la joie de croiser régulièrement mon roman et mon album Gromislav dans des vitrines et sur les tables des librairies !

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Dans  la vitrine de la  librairie Tschann, Paris 14ème

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Bien entourée à la librairie française de Rome 🙂

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Vitrine de la librairie Le Divan Perché, Paris 15ème.   Gromislav en bonne compagnie
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Avec Christine Sauvage, super libraire des Lettres Voisines à Voisin le Bretonneux, Yvelines, septembre 2019

Je me retrouve à parler de l’art et de  la manière d’aborder les maths dans le genre romanesque, à expliquer en quoi c’est important de le faire.  Maths et roman constituent a priori deux domaines inconciliables ou si éloignés l’un de l’autre… Or par respect pour Katherine Johnson, j’ai souhaité que les maths soient incarnées dans mon livre. Ainsi des chapitres sont-ils consacrés à des  cours de maths. Ils  mettent en scène des élèves et leurs professeurs. Ces derniers ont certes existé mais ils ont  surtout une dimension romanesque pour le lecteur.  On les connaît, on ressent  une empathie envers eux, leurs comportements nous émeuvent… Pour cela, j’ai décrit leur vie lors de chapitres précédents, implanté cette petite graine qui fait qu’on s’attache à eux, qu’on s’intéresse à leur sort, qu’ils soient profs de maths ou lycéens afro-américains.

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Conférence au lycée de Verdun, novembre 2019

J’ai même intégré des équations, que j’ai parfois résolues moi-même : pas toujours avec facilité, mais pour être au plus près de mes personnages (des élèves en train de suer sur leurs exercices par exemple).
D’autres équations  de très-très haut niveau – qui correspondent aux trajectoires des vaisseaux dans l’espace – sont également présentes dans le roman pour montrer la beauté des formules mathématiques. Leur valeur esthétique n’est pas sans rappeler celle des oeuvres d’art abstrait.

Leur complexité est aussi mystérieuse que fascinante, d’autant si on lit le roman et qu’on comprend à quoi elles servent concrètement.

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Conférence aux Rendez-vous de L’histoire, salon de Bois, octobre 2019

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Alors quand une jeune fille de Terminale littéraire m’avoue que ce roman lui a « montré le bon côté des maths », qu’une adolescente m’annonce que le destin de Katherine Johnson « lui a donné envie de tout donner », ou qu’une femme s’étonne d’avoir été « transportée jusqu’à la lune à côte de Katherine Johnson, alors qu’elle était nulle en maths », je ne peux que me réjouir. Tout comme me font plaisir les yeux  brillants des profs  devant ce modèle inspirant. Souhaitons que Cécile Ribault-Caillol, journaliste des Enfants des Livres sur France Info ait raison lorsqu’elle affirme : « voilà le roman qui vous fera aimer les maths« .

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En dédicace, octobre 2019

Je  participe aussi à des tables rondes plus spécifiques, consacrées à l’état des lieux de la culture scientifique en France. Nous y  discutons des différentes façons de donner envie aux adolescents de s’intéresser aux sciences, en dehors du contexte « cours de maths ou de physique » qui provoque souvent rejet, peurs, élitisme ou passion… Ainsi à la librairie Millepages de Vincennes, ai-je eu la chance de débattre avec le passionnant Mickaël Launay (Le grand roman des maths), puis lors d’une table ronde avec le CRDP de Saint Quentin en Yvelines, avec des spécialistes aux profils variés.

Rendre les maths plus humaines, attractives, populaires : vaste mission.

De multiples pistes sont  proposées par les différents intervenants :

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Une retranscription graphique par Guillaume Monnain (association Akenium) d’un débat avec Yohan Apeiron (youtubeur scientifique), et Pierre-François Mouriaux (journaliste Air et Cosmos), septembre 2019

Et puis, il y a les questions récurrentes des élèves sur le roman :

« Est-ce un roman féministe ? »

Oui ça l’est : si remettre dans la lumière des figures de femmes que l’Histoire a oubliées, rendre hommage à de grandes scientifiques, leur attribuer la réalité de leur participation aux recherches ou aux découvertes relève du combat féministe, alors oui, mon roman l’est, indéniablement.

Ce biais féministe interpelle les adolescent.es, très sensibilisé.es à la condition des femmes depuis les mouvements #metoo et Balance ton porc.

Il y a encore peu de temps, nombre de femmes occidentales ont dû lutter pour devenir mathématiciennes ou ingénieures. Et la misogynie entrave encore les vocations scientifiques des femmes. Les mentalités changent lentement.

L’association Femmes et Maths publie des chiffres édifiants et des études sociologiques passionnantes qui  témoignent de cette injustice qui pèse  aujourd’hui sur les liens entre les femmes et les maths.

Les langues se délient devant le destin de Katherine Johnson. Des lectrices, plus âgées, me relatent les brimades subies pendant leurs études supérieures scientifiques. Les réflexions machistes de leurs profs et les moqueries des étudiants masculins leur reviennent en mémoire. Elles se souviennent du mépris et de l’hostilité auxquels  elles se sont heurtées : « Vous n’avez rien à faire ici », « ingénieur n’est pas un métier de femme », « vous n’êtes pas logiques »…

verdun libraire noellineAvec Noelline,  super libraire d’Entrée Livre à Verdun

Être une femme noire aux Etats-Unis : la double peine quand on veut devenir mathématicienne…

Comme Sandrine Mariette l’explicite dans son article de la revue Elle,  l’histoire de cette mathématicienne afro-américaine qui a travaillé à la NASA repose sur un double combat,  celui « d’une surdouée dans un milieu scientifique ultra-misogyne et dans un pays vicié par la discrimination raciale ».

Grâce à ces rencontres si différentes les unes des autres, je navigue de l’histoire de la ségrégation, à la situation des femmes dans le milieu scientifique, aux coulisses de la NASA. Alain Ciriou, rédacteur en chef de la revue Air et Espace m’a ainsi confié qu’il avait été fasciné de redécouvrir l’histoire de la course à l’espace et  des premiers pas sur la Lune sous un  angle qu’il ne connaissait pas : celui des calculatrices noires de la  NASA. C’était pour lui passionnant de  regarder cet événement éclairé autrement. De lever le voile sur une autre facette de cette incroyable épopée qu’est la conquête spatiale.

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Je Bouquine, novembre 2019

Enfin,  dernier thème, et non le moindre, qui à chaque fois, intrigue l’auditoire ou les lecteurs, celui du roman biographique.

« Comment vous avez fait pour écrire ? Qu’est-ce que vous imaginez ? Qu’est-ce que vous inventez ? Qu’est-ce qui est vrai ? »

Au début de l’écriture (dont je parle sur la page du roman), après avoir interrogé plusieurs amateurs du genre, j’ai accepté le principe que le roman biographique se fondait sur un contrat implicite entre le lecteur et moi : nous savons tous les deux qu’il s’agit d’un roman avec sa part d’imaginaire, un roman dans lequel se plonger, un roman qui les amènera à ressentir des émotions, et à éprouver de l’empathie envers des personnages –  ce qu’un livre d’Histoire ne provoque pas.

Et nous savons tous les deux, le lecteur et moi, qu’une fois le livre fini, le lecteur aura le plaisir de se dire : « waouh, en plus c’est l’histoire de quelqu’un qui a existé« . En fait, l’aspect biographique confère une sorte de « valeur ajoutée » au romanesque.

En outre, je me rends compte que les adolescents aiment les récits sur des personnes ayant vraiment existé. Pour eux, le fait que Katherine Johnson ait réellement vécu (et vive encore d’ailleurs), est d’autant plus inspirant. Son destin peut devenir un modèle de vie possible, de combativité envisageable, de ténacité et de réussite atteignables.

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Un rayonnage consacré aux romans biographiques de la collection Destin (Litt’ Albin Michel) à la librairie Les Traversées, Paris 5ème. Avec le roman sur Marilyn Monroe de Fabrice Colin et celui sur Marie Curie et sa soeur de Natacha Henry.

Je crois à la vérité romanesque, dans sa pureté, son intégrité et sa force parce qu’elle  implique une rencontre entre les lecteurs et les mots d’un auteur, qu’elle est source d’empathie et provoque l’émotion ; parce qu’elle est un appel au voyage et qu’elle divertit ;  parce qu’elle questionne le monde et ses lecteurs, qui à leur tour  questionnent  le roman puis  le monde.

Le fabuleux destin de Katherine Johnson m’a encouragée à relever le défi du roman biographique. Et il se trouve que j’ai rencontré en cours d’écriture la romancière que je suis : mes choix stylistiques et narratifs, les émotions que j’attribue à Katherine, les moments et les dialogues que j’imagine, les scènes que  j’invente  sont  le reflet de ma sensibilité. Un.e autre auteur.trice aurait rédigé sur Katherine Johnson un ouvrage totalement différent du mien. Pour autant, les faits auraient été les mêmes.

J’ai  donc découvert le plaisir de m’attaquer à ce genre à part, qui implique de rester fidèle aux faits historiques mais de les entourer  d’imaginaire. Ces ajouts  ont paradoxalement le pouvoir de rendre les personnages plus réels, de les incarner jusqu’à ce qu’ils vibrent autant que des héros romanesques.

Possible qu’un jour, j’y retourne,

Dans la vie d’une  femme

qui a marqué son temps

Agi sur son époque

Essayé d’améliorer l’état du monde

Voulu le révolutionner, parfois.

Une  femme  réelle du passé,

Un  futur personnage de roman.

IMG_3082À la médiathèque de Vincennes, lors du lancement du roman

IMG_3080« Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’Humanité »

Lecture théâtrale de Combien de pas jusqu’à la Lune