RÉCIT DES ATELIERS D’ÉCRITURE MENÉS À SAINT ÉTIENNE DU ROUVRAY DE NOVEMBRE 2020 À FÉVRIER 2021
Au collège Robespierre et à l’école Jean Macé / projet à l’initiative de la DAAC de la Région académique Normandie, Festival du livre jeunesse
Novembre 2020.
Les courbes de nombre de cas et d’hospitalisation sont exponentielles. La France, covidée, se re-confine.
La perspective des ateliers d’écriture à St Étienne du Rouvray m’offre un appel d’air, réalise un rêve d’évasion dans ma vie de Parisienne confinée.
Un vent de liberté souffle sur mon quotidien aux déplacements limités à l’intérieur d’un cercle. Centre : mon immeuble. Rayon : 1 kilomètre.
Je prépare ma première journée comme je préparerais un grand voyage. Une amie me prête sa voiture pour mes aller-retour hebdomadaires, je me concocte une play list pour la route…
6h30, 1er mardi brumeux, glacial et silencieux. La Clio des années 2000 est garée sur un lit de feuilles mortes en décomposition, sous un arbre aux branches nues. Des crottes de pigeon recouvrent le pare-brise. Pas grave, j’espère juste que les essuies-glaces fonctionnent.
Je m’engouffre derrière mon volant. Joie du départ. Plaisir de conduire.
Dans ma tête, j’ai l’impression de m’offrir une parenthèse de légèreté, une petite rasade d’aventure, de braver le (presque) interdit.
Le jour zébré se lève sur l’autoroute grise.
Je prends des cafés au stations-service, grisée : ce geste de normalité réveille encore en moi un sentiment de liberté.
La musique à fond jusqu’au zénith de Rouen, je commence à penser aux élèves et aux professeures que je vais rencontrer, aux ateliers que je vais mener…
Je me perds évidemment sur le parking du Zénith, vide, pas de camions pour décharger des projecteurs, des instruments ou des décors, pas de spectacle en vue. Confiné, le zénith.
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À l’école Jean Macé, le responsable des animations en REP+ et la directrice m’accompagnent dans la classe de CE2-CM1 avec laquelle je vais travailler. Me voila dans une salle, entre affiches de grammaire, tables de multiplication, listes de mots qui encouragent, dessins…
Des enfants masqués m’attendent et m’observent. Je regarde à mon tour ces moitiés de frimousse aux yeux pétillants de malice et de curiosité. On discute. Ils ont une foule de questions, les bras se lèvent, les fesses gigotent sur les chaises. Comment on fabrique un livre, comment j’écris, où ça ?… Je leur annonce qu’eux aussi vont écrire. Un conte, à vocation écologique : vous savez ce que c’est, l’écologie ?
Leur maîtresse s’appelle Morgane. J’ai de la chance de tomber sur elle. Je découvrirai au fil des séances ses immenses qualités d’institutrice : elle me semble toujours à la juste distance. Elle a cette capacité à donner aux enfants la tendresse dont ils peuvent avoir besoin, les encouragements indispensables, à éveiller leur envie d’apprendre, à leur donner un cadre. Elle jongle entre règles de la vie en groupe, liens individuels, transmission de savoirs avec passion et ténacité. J’imagine que ce n’est pas tous les jours facile. Son ancrage dans son rôle m’impressionne. Chapeau, la maîtresse.
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Une fois qu’ils ont leur pitch, les enfants se lancent en écriture. Les idées fusent. Il y en a beaucoup qui foncent, et pensent avoir fini une fois qu’ils ont leur histoire : un paragraphe, deux-trois lignes. C’est normal. C’est là que j’interviens. Ça, c’est un résumé d’histoire. Pas un livre, encore moins un roman. Maintenant, on va mettre des dialogues, des comparaisons, des émotions. Maintenant, on va développer l’intrigue, ajouter des obstacles, mettre en place des solutions. Ou au contraire, réduire les pistes, éviter le feu d’artifice de propositions, s’en tenir à un seul fil.
Une chose est l’oral, une autre l’écrit. Parfois, ça bloque, un sentiment d’incapacité à « traduire « par écrit ce qu’ils lancent si facilement à l’oral…
Je pose des questions aux écoliers pour qu’ils avancent.
– Est-ce que le roi réussit à se débarrasser des déchets tout de suite ?
– Non, c’est la reine qui y arrive pas le roi !
– Et comment elle fait, la reine ?
– Elle appelle une sorcière pour avoir le mode d’emploi…
– Ok, c’est une super idée, écrivez tout ça !
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Puis, au fil des ateliers, l’idée est de préciser : les objectifs des personnages, les mots, les adjectifs.
– Il est grand comment le bouclier du hérisson ?
– Il est grand comme la grande Roue de la fête foraine !
– Il est de quelle couleur l’ogre
– Bleu.
– Bleu comment ? Bleu comme le ciel ?
– Non comme un masque chirurgical.
– L’ogre, il s’appelle comment ?
J’attends quelques secondes la réponse de la fillette qui me fait face.
– Paripiri ! s’écrie-telle.
Ce nom est pour moi une merveille des merveilles.
Et surgiront dans leurs contes des pets et des ogres qui puent : alors le masque c’est pratique pour ne pas sentir. Et puis forcément, il y aura une maîtresse super héroïne. Mais aussi des méchants, qui sont « devenus méchant parce qu’ils ont été malheureux, mal traités»…
L’empathie envers leur personnage déboulera spontanément. L’explication psychologique jaillira de leur imaginaire.
Et à chaque fois, cela me bouleverse.
Avant-dernière séance, je discute avec un enfant qui a eu du mal, qui n’y croyait pas trop, à ce projet.
– Et ton héros il ressent quoi à la fin ?
– Il est très content, comme moi, je suis content : je ne pensais pas que j’arriverai à écrire une histoire pareille !
Dernière séance, soyons exigeants, allons toujours plus loin, avant de mettre un point final.
– C’est quoi, la formule de la Reine pour se débarrasser de ces déchets ?
– Abracadabra !
– Encore ? Mais tu l’a déjà utilisée, cette formule. Il n’y a pas une autre formule, spécifique pour les déchets ?
Yeux qui se plissent, sourcils qui se froncent, réflexion enfantine en marche.
– Abracadéchets ! Abracada-herbe !! Abracadapousse !!!
Merveille, encore.
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L’après-midi, je suis avec les 3è du collège Robespierre.
Première séance, on se découvre. Leurs questions fusent aussi. Chaine du livre, rémunération, inspiration, histoire de mes romans, créations en cours. Le destin de Louise Michel les touche aux point que deux élèves choisiront cette figure pour leur récit.
Je sais dès la première heure que tout va bien se passer avec leur professeure de français, Aouatef : elle rayonne d’énergie. Son humour me plait instantanément. Elle respecte chacun de ses élèves et ils le lui rendent bien. Elle fait preuve d’autorité, autant que d’empathie. Elle est attentive et rigoureuse. Je suis submergée d’admiration et de reconnaissance. J’ai de la chance de travailler avec elle. Je n’ai aucun doute. Ma certitude est immédiate.
Me voilà bien entourée pour mener à bien mes missions d’écriture.
La communication avec les collégiens s’enclenche très vite aussi. On me dit qu’ils ne sont pas scolaires : pas grave, ils sont curieux et vifs et drôles et malins.
Je finis la séance en leur lisant le début d’U4, un de mes romans post-apocalyptiques, dans lequel le monde est ravagé par une pandémie. Le contexte est malheureusement de circonstance. Première fois que je lis U4 masquée, devant des adolescents masqués. Je n’aurais jamais imaginé vivre ça un jour…. Cette pensée me serre un peu le ventre.
Silence total pendant que je lis. J’arrête, je lève les yeux vers eux : ils veulent la suite, ils applaudissent. Au fond de la classe, près du radiateur, un élève se lève :
– Wesh madame en vrai c’est trop stylé comment vous écrivez !
Merci, wesh, en vrai, ça me fait trop plaisir ce que tu me dis.
C’est décidé : on lira un quart d’heure par séance. Ils auront leur suite.
On conclut cette première rencontre en parlant de ce qu’ils vont écrire, eux.
La prochaine fois, on déterminera leurs figures féminines, d’ici là, ils y réfléchissent.
En repartant vers Paris, je suis déjà curieuse de ce qu’ils vont choisir
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2è séance
Les 3ème ont des propositions de femmes sur lesquelles écrire leurs récits fictionnés. Je leur explique ce qu’implique la rédaction de la biographie romancée. La variété de leurs personnages m’interpelle : il y a pas mal de samouraï (culture du manga oblige), de guerrières, de rebelles : le modèle héroïque féminin passe par la capacité à combattre, à vaincre l’ennemi. Finalement, c’est pareil pour les femmes et pour les hommes. C’est intéressant, la chevalière, la soldate, l’officière : des mots qu’on n’a pas l’habitude d’entendre au féminin, ou qui n’existent même pas au féminin.
L’éventail de leurs héroïnes se déploie de Louise Michel à Jeanne d’Arc, en passant par une serial killeuse hongroise, une femme d’affaire et une astronaute afro-américaine, une bandite indienne victime de viols, qui se venge et qui finit parlementaire…
Une fois leurs recherches documentaires achevées, je leur propose des pistes de fiction : un journal intime, les dernières pensées (la vie qui défile), une bataille décisive, le premier vol de l’astronaute dans l’espace… Je leur explique les différents points de vue possibles. Beaucoup d’entre eux s’orientent vers la première personne du présent.
Portraits de leurs personnages dessinées par les élèves de 3ème
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L’étape suivante, c’est la plongée dans l’écriture romanesque. J’emploie le mot « plongée » car pour certains, cela semble impossible, un saut dans l’abime, faut pas rêver, comment je pourrais écrire. Je passe parmi les groupes. Ils ne manquent pas d’idées, la difficulté parfois – normale – c’est d’amorcer le récit.
Qu’est-ce qui se passe au début ? je demande. Quand elle commence à tuer ? Comment elle s’y prend ?
Des questions, toujours des questions, de plus en plus aiguillées en fonction des difficultés de chacun. C’est comme un jeu de plateau, je lance les dés, leur donne des missions et ils avancent.
– Où sont les ennemis qu’elle veut tuer ?
– Quelle arme ? Tu t’y connais en arme ? Pas moi…
– Quels ingrédients elle met dans son produit pour laver les cheveux crépus ? Tu peux chercher ça sur internet ?
– Avec quoi on fabrique une barricade ?
– À quoi elle pense au moment de mourir ?
– Qu’est-ce qu’elle dit à son agresseur à ce moment-là ? Qu’est-ce que tu veux qu’elle dise ?
– Tu te sens touchée par ce qui lui arrive ? Triste pour elle ? Alors tu voudrais qu’elle fasse quoi ?
– Et là, quand cet homme l’insulte, il lui dit quoi ? Il emploie quels mots ? Regardez un peu comment on insulte à cette époque…
– Votre histoire est une sorte de thriller. Vous voulez imaginer une fin ?
Et les deux adolescentes à qui je propose ça m’impressionneront avec leur chute, digne d’un scénario professionnel.
Ensuite, on explorera chaque scène dans le détail, c’est la même démarche qu’avec les enfants : ajouts de dialogues, d’émotions, traque aux incohérences narratives, fin à élaborer…
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Lors du dernière séance, on lit leurs textes devant la classe. Les élèves ont réussi, tous. Parce qu’ils sont allés au bout de leurs récits, ont mis un point final, se sont investis.
Je suis fière d’eux. Leur professeure également.
Eux aussi, j’espère, ils sont contents comme l’est mon petit gars de CM1.
En rentrant à Paris en voiture, je repense aux enfants et aux adolescents que j’ai rencontrés.
Ces ateliers sont une minuscule goutte d’eau dans l’immensité de leurs vies.
Une goutte minuscule, mais joyeuse, inspirée, surprenante.
Comme l’est la première goutte qui percute soudain mon pare-brise.
Je mets les essuie-glaces qui battent la mesure de l’averse symphonique. Voilant déjà le jour, la pluie forme un rideau devant la vitre. L’asphalte est glissant, la visibilité réduite. Je me concentre sur ma conduite, scrute les trombes d’eau où une guirlande de mots, brillants comme des lucioles, commence doucement à illuminer la nuit précoce.
Un grand merci à Lamia Dezailles, directrice du festival de littérature de Rouen, de m’avoir proposé ces ateliers, à Gilles de m’avoir accompagnée avec bienveillance, à la principale du collège Robespierre et à la directrice de l’école Jean Macé de m’avoir accueillie dans leurs établissements, enfin, bien sûr à Morgane et Aouatef, d’avoir partagé ces moments d’écriture avec moi
à France 3 Région pour parler des ateliers d’écriture et de Combien de pas jusqu’à la lune, en décembre 2021